Qui a été le premier de l'œuf ou de la poule ? En quoi la sauce béchamel et la brandade sont des dommages collatéraux de la guerre des religions ? Quelle est votre dette, vous, mangeur de chocolat, envers les Olmèques disparus voici 15 siècles ? Pourquoi on peut dire que le grand chef Escoffier était Italien quand il a fait le plus gros de sa carrière en Angleterre ?
Oscar Caballero s'est attelé à la tâche : il a répondu à toutes ces questions et bien d'autres encore dans son dernier ouvrage, "Quand la cuisine fait date". Cette somme, ce monument de savoir, d'humour et de style, était chroniqué récemment sur Europe 1. Je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous les minutes de cet instant exquis... C'est de la radio, sur le net, mais dans le texte. Ca ne se refuse pas !
(...)
Pierre-Louis BASSE
Bon, alors c’est drôlement chouette ce que tu nous fais aujourd’hui parce que «Quand la cuisine fait date », c’est donc ce texte que tu vas nous présenter, ça veut dire qu’il faut quand même se souvenir que la cuisine a ses étapes dans notre pays…
Jean-Luc PETITRENAUD
Elle a ses étapes et puis dieu sait qu’elle a une belle histoire parce que de toute façon c’est le plus art de France comme on dit la cuisine. Simplement j’ai reçu ce bouquin qui s’appelle réellement « Quand la cuisine fait date », c’est Oscar CABALLERO qui l’a écrit aux éditions BOTTIN GOURMAND, et j’ai été attiré par ça parce que je me disais en feuilletant, c’est un livre de chevet. 1686 par exemple c’est la création du premier café à Paris par un Italien Francesco PROCOPIO. Et il fait d’une pierre deux coups, c’est-à-dire qu’en même temps il ouvre un premier café où on venait boire des consommations, 1686, et en même temps il impose le café comme une sorte de boisson très parisienne peut-être à la place du verre d’eau ou du verre du vin parce que le vin c’est ancestral. Le café était encore une boisson exotique, il l’impose en 1686. Ca je trouve assez joli. Il y a des dates comme ça, c’est-à-dire 1789, tout le monde sait que c’est la Révolution…
Pierre-Louis BASSE
Oui, on n’a pas coupé que les cuisses et les ailes…
Jean-Luc PETITRENAUD
Voilà, on coupait les oreilles aussi parce qu’il y avait des chefs de cuisine bourgeoise qui étaient dans les grandes, grandes familles, et qui étaient les gens les plus raffinés de la terre, c’est comme ça qu’on a inventé le restaurant en décidant que tous ces gens-là devaient partir pour pouvoir en faire leur métier et accueillir un public ouvert.
Pierre-Louis BASSE
Là tu évoques la bourgeoisie mais justement parlons un petit peu de cette période de montée en puissance de Napoléon, de l’Empereur, du côté du Palais Royal avec les Muscadins, il y a tout un tas de bars aussi, de brasseries restaurants qui s’ouvrent…
Jean-Luc PETITRENAUD
Ca devient un métier, avant on mangeait chez soi, c’était un signe de richesse affiché, on recevait chez soi, et il y avait ce très beau mot qui a donné après le métier de traiteur, c’est « comment avez-vous été traité par la famille untel » ? Et donc le mot de « traité » ça voulait donc dire «comment avez-vous été reçu dans cette famille ? » Donc tout était derrière les volets fermés, els volets clos, et là subitement ça prend une proportion complètement ouverte et c’est ce qu’on découvre dans ce livre à travers quelques dates.
Pierre-Louis BASSE
Et je pense que tu as dû le lire, Patrick RAMBAUD, « Le chat botté », c’est un grand spécialiste de Napoléon, il en parle de ça justement…
Jean-Luc PETITRENAUD
Oui, oui…
Pierre-Louis BASSE
…je trouve ça passionnant que tu nous rappelles ces grandes dates. Jean-Luc, 1751, la gourmandise est inventée d’une certaine façon ?
Jean-Luc PETITRENAUD
Oui, parce que subitement on se met à raconter, à se dire, après tout l’art de la table c’est important, donc il y a eu une définition qui a été mise derrière le mot «gourmandise ». Alors on dit « c’est l’amour raffiné et désordonné de la bonne chair», j’adore ça, « l’amour raffiné et désordonné de la bonne chair » derrière le mot «gourmandise », 1756 par là à peu près. Mais c’est au même moment qu’on se rend compte de l’origine de la sauce mayonnaise. On s’y attelait déjà depuis 1750 pour essayer de trouver cette origine. Alors chacun y va de sa version : on dit que c’est la sauce mahonnaise par rapport à la ville de Mahon, donc c’est la sauce mahonnaise, on l’a inventée là-bas. Et puis ça devient très vite la sauce magnognaise et ça c’est Carême, un ancêtre de la cuisine et de la chronique gastronomique. Et subitement il y a Grimaud de la REYNIERES qui est aussi quelqu’un de drôlement important dans l’histoire de la table, il dit « non, c’est la sauce bayonnaise » parce que c’était un hommage, c’était pour évoquer la prise de Bayonne et on a appelé ça la sauce bayonnaise. Alors c’est rigolo parce que en fait à travers Grimaud de la REYNIERES puisqu’on le cite, c’est lui qui a inventé la critique gastronomique, qui a inventé la chronique gastronomique, « L’art et la manière de mettre des mots derrière la table».
Pierre-Louis BASSE
Qu’est-ce qui fait date au XIXe, Jean-Luc PETITRENAUD, le siècle des BALZAC, qu’est-ce qui fait date là ?
Jean-Luc PETITRENAUD
Le service en salle.
Pierre-Louis BASSE
Le service…
Jean-Luc PETITRENAUD
C’est-à-dire que subitement ce n’est plus une affaire de cuisine, avant on mettait un peu la table, on s’inspirait de pays comme le Liban, l’Iran, etc., qui mettent tous les plats en même temps sur la même table, nous on avait envie d’avoir, de trouver un rituel. Et donc ça devenait un métier, être patron de salle, être maître d’hôtel était un sacré métier qu’on a à nouveau un peu perdu par la suite mais c’était l’art de la découpe, c’était l’art et la découpe de la volaille, on servait au guéridon, ce qui veut dire ce fameux guéridon roulant qui arrive et où on va lever les filets de volaille. Vous savez qu’on peut très bien les trouver, par exemple un type qui lève les filets de volaille avec le dos de la cuillère, c’est encore une autre forme de service. Donc l’art du service et c’est là que l’on invente le poisson avant la viande parce qu’avant on mélangeait tout.
Pierre-Louis BASSE
Jean-Luc, je suis sûr que cette question tu n’y as pas pensé pour une fois, alors je te la pose : est-ce que tu as aussi en France ce qu’on trouve à Cuba, pour des raisons politiques bien sûr et économiques, à savoir ces fameux restaurants dans des appartements privés où on fait la cuisine et où finalement on ouvre un restaurant. Est-ce que ça existe et est-ce que ça existé ?
Jean-Luc PETITRENAUD
Mais bien sûr ça a existé et puis ça existe maintenant, il y a de très, très grands restaurants chez des patrons de grandes chaînes de télévision, chez des grands groupes d’assurances, et où on a une sorte de cuisine à domicile. Et le nec plus ultra est de recevoir chez soi proche de son bureau avec un service gants blancs et c’est absolument magnifique, là il y a tout l’art de cette époque. Mais c’est marrant à feuilleter, c’est un bouquin qui est très joli et qui m’a beaucoup plu car la cuisine fait date, c’est Oscar CABALLERO.
Pierre-Louis BASSE
Tu nous dis un petit mot des années 70…
Jean-Luc PETITRENAUD
Les années 70, c’est l’arrivée de GAULT & MILLAU qui viennent bouleverser et qui viennent mettre du rififi dans la vie de MICHELIN, MICHELIN était omniprésent, il venait juste de récompenser un restaurant « Aux Armes de Lorraine » à Bruxelles, donc le premier restaurant étranger, ils ouvraient les frontières, et là arrive, patatras, l’histoire d’Henri GAULT et Christian MILLAU qui sont des gens pointus. Et il y a juste un livre, je te le donne en plus, qui vient d’être écrit par Christian MILLAU qui est une sorte de séries de textes extrêmement ciselés qui s’appelle « Le guide des restaurants fantômes », il les a inventés mais il y va plein pot pour dire qu’il y en a ras le bol qu’on interdise de fumer le cigare dans un restaurant. Alors il a l’art et la manière d’entrer dans ces restaurants. Alors c’est du vrai faux et du faux vrai, c’est du roman et c’est de la réalité, c’est toute la vie de ce bonhomme, Henri GAULT est mort, Christian MILLAU est un type formidable de romancier, qui était d’ailleurs mon prédécesseur sur EUROPE 1, et donc chez PLON ce « Guide des restaurants fantômes » c’est aussi très, très joli.
Pierre-Louis BASSE
Merci mille fois Jean-Luc, on a pris encore beaucoup de plaisir ensemble et je suis sûr que de l’autre côté c’est kifkif. « Quand la cuisine fait date » c’est chez ?
Jean-Luc PETITRENAUD
C’est aux éditions du BOTTIN GOURMAND.
Pierre-Louis BASSE
Salut, à samedi prochain.
Jean-Luc PETITRENAUD
A samedi.
Et voilà ! Et pour aller plus avant dans un ouvrage qui sera bientôt à la gastronomie ce que le dictionnaire étymologique est à la langue, n'hésitez pas, achetez "Quand la cuisine fait date".
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